Bruno Chrétien est à la fois président de l’Institut de la Protection Sociale, un think tank consacré à la protection sociale en entreprise, et fondateur de Factorielles, une société spécialisée dans les logiciels et la formation en retraite, prévoyance et rémunération des dirigeants. Il est aussi président de Previssima, un site internet grand public dédié à la protection sociale des français.
Il apparaît donc triplement bien placé pour décrypter les enjeux qui se posent à l’expert-comptable au moment de choisir ou de changer son statut. Entretien-conseil autour d’une tasse de café.
En quoi le choix du statut est-il important pour un expert-comptable ?
Alors qu’ils s’investissent sans compter dans la détermination du meilleur statut pour leurs clients, les experts-comptables n’ont peut-être pas toujours le temps ou « l’égoïsme » nécessaire pour évaluer en détail les impacts de leur propre statut. Or ceux-ci sont considérables. Prenons les prélèvements sociaux : sur un revenu annuel de 40 000 €, les cotisations totales(1) s’élèveront à 65 % pour un expert-comptable salarié, à 40 % en TNS (gérant majoritaire). À 80 000 € de revenus, elles grimperont à 79 % en salariat, à 49 % en gérant majoritaire. À 160 000 €, elles atteignent respectivement 60 % et 40 %. Des différences significatives, donc, qui méritent un examen scrupuleux de la protection sociale offerte en contrepartie, autrement dit une évaluation approfondie du rapport qualité-prix.
Quels sont, selon vous, les critères essentiels pour le choix de cette protection ?
D’abord, justement, la possibilité de choisir, d’ajuster la couverture sociale à son profil et à sa situation. Pour schématiser, vous obtenez en salariat un vêtement standard et en TNS un costume sur mesure. En prévoyance, le standard peut être préférable si vous présentez un risque santé assez élevé, qui vous rend moins attractif auprès des assureurs. Si vous êtes en bonne santé, sans risque particulier, vous trouverez certainement en TNS un contrat plus efficace, taillé au plus près de vos besoins et de ceux de votre famille, avec en plus l’avantage de la déductibilité fiscale.
Et quant à la retraite ?
Même principe : le régime TNS offre beaucoup plus de marges de manœuvre. C’est d’autant plus important pour un expert-comptable, dont le profil de carrière ne rentre pas aisément dans le standard du régime de base : études longues, installation vers 30-35 ans, premières années d’exercice souvent plus complexes financièrement, avant une montée en puissance et une sortie tardive de la vie active. La Cavec a su créer un régime complémentaire calé sur ce rythme spécifique, avec un large éventail de classes de cotisations, la possibilité de racheter des points comme de cotiser dans la classe supérieure pour compenser les années de faible cotisation, l’option réversion à 100 % pour le conjoint…Le tout déductible fiscalement, parfois socialement, et offrant ainsi un rapport coût-bénéfice augmenté. À cela s’ajoute un taux de rendement technique – ce que vos cotisations vous rapportent en retraite – qui est à ma connaissance l’un des tout meilleurs parmi les régimes à points, 28 % supérieur à celui d’un artisan-commerçant, 50 % à celui d’un salarié du privé et 75 % à celui d’un médecin…(2)
Quel conseil donneriez-vous à un expert-comptable souhaitant améliorer sa protection sociale ?
Le même que celui-ci pourrait donner à ses clients : réaliser tous les 5 à 6 ans une simulation pour vérifier que cette protection est toujours en phase avec sa situation. Selon l’âge, le stade d’activité, vous pouvez avoir des priorités très différentes : se doter d’une prévoyance solide pour vos proches (notamment en début de carrière), optimiser vos revenus et votre future retraite (la maturité professionnelle venue), en tirant parti par exemple des nouvelles opportunités de la loi Pacte. Tout cela se travaille dans le détail et jusqu’à la ligne d’arrivée. À quelques années du départ, en effet, vous avez encore des leviers à actionner, comme le rachat de trimestres en régime de base, et de points en retraite complémentaire. Et comme les experts-comptables sont généralement hyperactifs, n’ayant pas l’intention de stopper toute activité à l’âge de la retraite, il faudra préparer le statut qui vous permettra de poursuivre une activité après la retraite.
En tant que président de l’Institut de la Protection Sociale, quel regard portez-vous sur le projet de refonte des retraites ?
Le projet est aujourd’hui enterré, rejeté par l’ensemble des partenaires sociaux. C’est heureux, parce qu’en imposant un système uniforme, il s’écartait des standards internationaux, du modèle des démocraties modernes qui, toutes, ont des régimes différenciés. Et puis il était porteur d’injustices. Notre institut a par exemple réalisé une étude chiffrée montrant que les mères de famille auraient perdu, avec cette réforme, entre 6 et 24 % de leurs droits. Injustice également à l’égard des régimes vertueux, comme celui de la Cavec, qui auraient payé pour les mauvais élèves et perdu une protection sociale sur mesure au profit d’une cote universelle mal taillée.
(1) Source : Factorielles. Pour le statut salarié, le taux de cotisation est calculé en additionnant les cotisations salariales et patronales, rapportées au salaire net. Pour le statut TNS (gérant majoritaire), il s’agit de l’ensemble des cotisations sociales, rapportées au revenu net.
(2) Taux de rendement technique des régimes de retraite complémentaire : 8,71 % pour la Cavec, 6,80 % pour les artisans-commerçants-industriels, 5,81 % pour les salariés du privé, 4,96 % pour les médecins. Source : Novelvy Retraite, 2019.