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Philippe Berthelot : la capitalisation sécurise nos retraites

Pharmacien à Charleville-Mézières, Philippe Berthelot a été élu, en avril 2021, Président de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), pour un mandat de trois ans. Il est également, depuis le 26 janvier 2023, premier Vice-président de la CNAVPL (Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales).

Il explicite ici les avantages de la retraite complémentaire des pharmaciens, dotée d’une particularité dans le paysage français : elle comporte une part de capitalisation, qui s’ajoute au système classique par répartition. Ce régime mixte peut-il constituer une source d’inspiration, à l’heure où la n-ième réforme des retraites suscite colère et incompréhension ?

Comment est apparue la capitalisation dans votre régime complémentaire ?

La CAVP l’a instaurée en 1962. A l’époque, la Caisse s’inquiétait de la fragilité démographique de notre profession, restreinte par le numerus clausus. Elle recherchait donc un système susceptible de nous affranchir du rapport entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités. La «capi» s’est imposée comme une solution de bon sens. Au départ, elle était optionnelle avant de devenir obligatoire en 2009 et proportionnelle aux revenus en 2015 ; les pharmaciens cotisant désormais dans l’une des 11 classes du régime. Les pharmaciens cotisent donc en répartition pour partie, suivant un montant identique pour tous, et pour partie en capitalisation, proportionnellement à leurs ressources. Dans la classe de base, par exemple – un revenu annuel inférieur à 74 559 € – vous cotisez 6 530 € en répartition et 2 612 € en capitalisation. Dans la classe la plus élevée – un revenu supérieur à 213 393 € – vous cotisez toujours 6 530 € en répartition, et 15 672 € en capitalisation.

Quels sont les avantages de la capitalisation ?

C’est d’abord la sécurité et la prévisibilité. Dans le régime général, vous ne savez pas quelle retraite vous percevrez. Les réformes successives, depuis 30 ans, dessinent une seule certitude : la dégradation des conditions de départ et du montant de la pension. A mesure du vieillissement de la population, le système s’est enfoncé dans un cercle vicieux, en transférant aux générations futures une grande partie de ses déficits structurels, détruisant la confiance des jeunes générations dans leur retraite. En capitalisation, vous ne dépendez plus des évolutions démographiques. Tout ce que vous cotisez est provisionné pour votre retraite, placé suivant des critères prudentiels stricts, revalorisé chaque année avant d’être transformé en rente viagère. Cette rente est versée mensuellement, puis reversée, le cas échéant, à votre conjoint. Et bien sûr, cela vaut même quand le cumul des rentes versées dépasse le capital épargné et les intérêts produits. Je précise que capital et intérêts sont insaisissables par l’Etat et que les cotisations sont intégralement déductibles du bénéfice imposable.

La capitalisation serait donc une solution d’avenir pour nos retraites ?

Sans tomber dans les excès des fonds de pensions à l’américaine, une capitalisation collective en proportion raisonnable bénéficiant à l’ensemble de la population, encadrée par des règles de gestion rigoureuses, contribuerait sans doute à la sécurisation de nos retraites. La CAVP fait en quelque sorte office de mini-laboratoire. Nous avons aujourd’hui un pharmacien en activité pour un retraité. Avec un tel ratio, notre régime serait grandement fragilisé sans l’apport de la capitalisation qui assure 40 % de la retraite d’un pharmacien. La répartition à la française a vu le jour en 1946, à une époque où il y avait 5 actifs pour 1 retraité. Nous en sommes à 1,7 actif pour 1 retraité, et devrions atteindre 1,3 actif pour 1 retraité en 2060, sans tenir compte des réversataires. Ne serait-il pas temps d’engager une réflexion de fond, au lieu d’empiler les réformes paramétriques, jamais suffisantes, qui ne font qu’accroître la défiance, voire la désespérance ?

La France vous paraît-elle mûre pour un régime par capitalisation à grande échelle ?

Je note que les syndicats de la fonction publique gèrent en mode paritaire, avec les représentants des employeurs, une retraite par capitalisation : le régime additionnel de la fonction publique (RAFP), créé par la loi Fillon de 2003. Avec un encours géré de 42 milliards €, un rendement moyen annuel de 5,6 % depuis sa création – 7,9 % en 2021 – ce fonds de pension est une vraie réussite, qui ne suscite guère de contestation. Pourquoi un régime adopté par les fonctionnaires ne pourrait-il s’appliquer à l’ensemble des salariés et des non-salariés ? La retraite par capitalisation est déjà très répandue dans la plupart des pays européens. Au Danemark, les fonds d’épargne retraite représentaient 233 % du PIB en 2021, et 213 % aux Pays-Bas, 117 % en Suède, 105 % en moyenne dans les pays de l’OCDE, contre 12,7 % en France. Encore une fois, si le régime est collectif, équitable, et strictement réglementé, il devrait obtenir l’adhésion du plus grand nombre.

Le 5 mars dernier, le Sénat a ajouté, dans la loi portant réforme des retraites, un amendement demandant au gouvernement d’étudier la possibilité d’introduire une assurance vieillesse par capitalisation collective. Que pensez-vous de cette initiative ?

J’y vois le signe que le sujet commence à mûrir dans les esprits. En tant que gestionnaire de l’un des rares régimes de capitalisation collective français, la CAVP est toujours heureuse de transmettre son expérience, que ce soit par l’intermédiaire de débats publics et de rencontres, d’études, de tribunes ou encore d’interventions dans les médias. La Cavec est également attentive à l’évolution de la législation sur ce sujet, partageant avec nous la problématique d’une population restreinte et la recherche de la plus grande efficacité pour ses affiliés.

Vous évoquiez tout à l’heure des pays où les fonds d’épargne retraite dépassent, en cumulé, le PIB national : un immense bol d’air pour leur économie…

Oui, c’est l’autre grand avantage de la capitalisation : elle constitue un puissant un levier d’investissement dans l’économie réelle. A notre modeste échelle, nous gérons un encours de 8,4 milliards € dont une part est investie dans l’économie réelle, la cohésion territoriale, le tissu de PME et d’ETI, la transition énergétique et climatique, la santé et le bien-vieillir, suivant des critères définis par une démarche ESG-Climat et les principes pour un investissement responsable (PRI) des Nations unies. La CAVP a reçu à ce titre, en 2021, le prix Impact, dans la catégorie des investisseurs institutionnels.

Nous avons également créé, en 2019, d’un fonds d’aide à l’installation des jeunes pharmaciens, InterPharmaciens, doté d’un montant annuel de 20 millions €. C’est à la fois un outil de solidarité intergénérationnelle et une mesure de soutien à la démographie de notre profession, premier facteur d’équilibre de notre système de retraite.

Comment sont gérées les réserves de la CAVP ?

La CAVP dispose d’une équipe de spécialistes financiers qui veillent à l’application rigoureuse, par les sociétés gestionnaires de fonds, de nos critères de RSE, de nos obligations légales et prudentielles. Les actifs gérés, d’un total de 8,4 milliards €, contiennent 63 % d’obligations (françaises en majorité), 17 % d’actions (européennes à 90 %), 12 % d’immobilier et 8 % de produits monétaires. En tout, près de 800 millions € sont investis dans les PME et les ETI françaises. Le rendement de la capitalisation nous permet une revalorisation régulière des rentes servies. Sur dix ans, de 2013 à 2022, la performance distribuée a atteint 24,30 % alors que, dans le même temps, l’inflation cumulée s’établissait à 12,44 %. Nous faisons également très attention aux frais de gestion, limités à 0,3 %. Les administrateurs de la CAVP gardent toujours à l’esprit qu’il s’agit de la retraite de leurs consœurs et confrères. Le moindre euro de dépense est scruté à la loupe et les stratégies d’investissement régulièrement réévaluées.