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Renaud Villard, directeur général de la Cnav

Historien, ancien enseignant-chercheur à la Sorbonne et à Paris-Diderot, auteur d’un essai sur la Renaissance italienne(1), Renaud Villard dirige la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) depuis 2016. Il avait auparavant exercé des responsabilités à la direction de la Sécurité sociale, puis au ministère des Affaires sociales. Il nous explique comment les équipes de la CNAV – L’Assurance Retraite – sont parvenues, dans un temps court, à mettre en œuvre les multiples dispositions de la réforme des retraites, promulguée en avril 2023 et entrée en application au 1er septembre.

« Anticiper, décrypter, prioriser : nos clés pour lancer la réforme des retraites dans les délais et sans incident majeur »

Quel a été le plus complexe dans cette mise en œuvre : la multiplicité des mesures, la parution au compte-goutte des décrets d’application – certains sont toujours attendus – ou un dispositif en particulier ?

La revalorisation des petites retraites exige un effort important et totalement inédit. Applicable à 1,7 million de personnes, elle requiert la reconstitution de parcours qui, pour une partie, remontent aux années 50 et 60. Nous procédons ici par vagues, étalées jusqu’au 1er septembre 2024, avec une revalorisation automatique à mesure que nous traitons les dossiers, et en contactant directement les personnes aux carrières complexes. Nous avons d’ores et déjà augmenté les pensions de 600 000 assurés. Pour les vagues suivantes, nous appliquerons évidemment un effet rétroactif au 1er septembre 2023.

Comment la CNAV s’est-elle organisée pour absorber pendant l’été une réforme protéiforme, comportant pas moins de 31 textes réglementaires – dont 18 publiés à ce jour ?

Nous avons écarté d’emblée tout passage aux forceps, impliquant une mise sous tension des équipes, un renoncement aux vacances d’été ou une surcharge de travail. Le stress n’est jamais bon conseiller, encore moins sur une réforme aussi sensible. La CNAV a anticipé. Nous avons d’abord demandé et obtenu des renforts. Soit 300 CDI recrutés dès février pour « muscler » les métiers, le réseau et les SI ; plus 200 CDD en soutien de notre plateforme d’assistance téléphonique. Surtout, nous avons beaucoup planché, en amont, sur la priorisation des chantiers. La réforme impacte un très vaste public, de 7 à 77 ans (et au-delà), avec des mesures aussi diverses que l’ouverture de droits pour les stages et les TUC(2), une surcote pour les parents, la mise en place d’une pension pour les orphelins, l’élargissement de l’assurance vieillesse des aidants… Mais toutes ne présentent pas le même degré d’urgence.

Par exemple, si la création de droits pour le cumul emploi-retraite réclame un temps important de construction, les bénéficiaires potentiels n’afflueront pas dès cet automne. Nous avons donc pu lisser ce projet dans le temps, comme d’autres, et nous concentrer sur la priorité absolue : être pleinement opérationnels, au 1er septembre, sur le décalage de l’âge légal de départ en retraite, l’allongement de la durée de cotisation et les carrières longues.

Au regard des tensions qu’a suscitées cette loi, nous ne pouvions nous permettre le moindre couac. Je tiens ici à féliciter toutes les équipes de la CNAV, qui ont accompli un travail remarquable et fait du 1er septembre un jour ordinaire, « retraite as usual », pour nous comme pour les assurés et les entreprises : tout était prêt.

Avez-vous instauré un pilotage ad hoc pour la mise en chantier de cette réforme ?

C’était une option. Mais elle aurait pris du temps, de l’énergie en création de processus et de comités, tout en installant une forme de concurrence avec notre structure habituelle. Nous avons donc fait confiance à notre gouvernance, modifiée en avril dernier, qui associe étroitement trois directions déléguées : SI et pilotage des transformations, Réseau, Qualité. La réussite de ce type de projets, dans un délai resserré, dépend pour beaucoup de la coopération entre métiers et SI, de leur capacité à se focaliser sur l’essentiel, dans une première phase, à transcrire rapidement les besoins basiques en applicatifs robustes et immédiatement fonctionnels. Nous n’avions pas le temps d’ériger une cathédrale. Il fallait trancher, avancer, en mode agile. Depuis 2018, la CNAV a mis en œuvre, à tous les étages, un principe de collégialité et de co-décision entre SI et métiers, avec un arbitrage au niveau supérieur en cas de désaccord. Cette complémentarité, les réflexes acquis ensemble nous ont beaucoup servi. La réforme change en effet nombre de nos sous-jacents, de nos règles de gestion et de calcul des droits, de nos paramétrages informatiques. Confronté à ces défis, le trio SI-Métiers-Qualité sort les livrables avec une régularité de métronome, et même en avance sur les délais. En conservant la gouvernance qui était en place, nous avons par ailleurs pu nous accorder aisément sur les projets internes à différer pour tenir l’échéance décisive du 1er septembre.

Quels ont été les autres ressorts déterminants pour la réussite de votre mission ?

Sans doute le décryptage à chaud. Nous avons constitué une équipe dédiée, disposant d’un accès direct aux dernières informations, hypothèses, orientations et décisions intervenant au cœur de la réforme. Aussi avons-nous pu anticiper et, par exemple, mettre en ligne un simulateur, dix jours seulement après les premières annonces, où les actifs, les retraités et les candidats à la liquidation pouvaient concrètement mesurer les effets de la réforme sur leur situation personnelle. Aussitôt la loi promulguée, nous avons également lancé un site spécifique, avec toute l’info pratique, les questions-réponses, des fiches pédagogiques, en sollicitant un maximum de retours du public. Le simulateur et le site ont joué un rôle décisif, en répondant à une grande partie des interrogations et des appréhensions. Ces outils ont ainsi prévenu un afflux trop important de demandes sur notre plateforme d’assistance téléphonique, et de visites dans nos caisses régionales. Nous avons bien enregistré une hausse des appels et de la fréquentation, mais dans des proportions tout à fait « gérables » – de l’ordre de + 10 % à +15 %. En conjuguant réseau physique, digital et aide à distance, la CNAV est parvenue, je crois, à fournir un bon niveau de service, dans un contexte assez anxiogène, porteur de nombreuses incertitudes, voire de fausses croyances.

La CNAV a-t-elle eu son mot à dire dans la prise de décision ?

Ce n’est nullement notre rôle. Nous nous sommes simplement efforcés de prévoir, aussi précisément que possible, les effets des différentes dispositions envisagées. À mesure que les hypothèses de travail nous parvenaient, les équipes de la CNAV évaluaient leur robustesse en gestion, leur impact financier, leur faisabilité opérationnelle dans le SI. Sur l’intégration des TUC dans le calcul des droits, par exemple, nous avons très tôt averti que nous ne maîtrisions pas la donnée nécessaire à l’identification des bénéficiaires. Il nous faudrait passer par un téléservice, invitant les anciens « tucistes » à se signaler. Globalement, les pouvoirs publics comme les parlementaires ont entendu nos arguments et calibré les mesures de façon qu’elles soient, sinon faciles à mettre en œuvre, au moins réalisables dans un délai raisonnable.

  • (1) Du bien commun au mal nécessaire : tyrannies, assassinats politiques et souveraineté en Italie, vers 1470vers 1600. – Renaud Villard – Éditions École française de Rome.
  • (2) TUC : Travaux d’Utilité Collective. Contrats aidés en vigueur dans les années 80.