Nous avons rencontré Patrick Martin, président du Medef. Il nous parle des grands défis et des grands projets du Medef, mais aussi de sa vision du rôle des experts-comptables dans l’économie.
Monsieur Martin, quel est votre retour sur la résistance réussie à la tentative de ponction dans les caisses de l’Agirc-Arrco, et où en sont les discussions sur le dispositif de solidarité petites retraites ?
Un mot tout d’abord sur ce dont cet accord est l’incarnation : un esprit de responsabilité qui anime les partenaires sociaux et auquel je suis particulièrement attaché. Nous ne sommes certes pas d’accord sur tous les sujets, mais nous arrivons tout de même à des compromis au nom de l’intérêt général.
Concernant l’accord en lui-même, vous le savez, malgré des conditions difficiles (calendrier restreint, lettre de cadrage contraignante, marge de manœuvre financière limitée) nous avons réussi à trouver un accord le 5 octobre, désormais signé par cinq organisations syndicales.
Dans cette négociation, le Medef a défendu une question de principe, au fondement du caractère paritaire et autonome de la gestion du régime : ses ressources ne peuvent servir qu’à financer les prestations de ses affiliés.
Et à l’arrivée, l’accord répond au mandat d’assurer l’équilibre et la pérennité du régime tout en réaffirmant l’indépendance du paritarisme de gestion.
Comme convenu, nous avons lancé la 1re réunion de travail le 28 novembre, et avons demandé aux services Agirc-Arrco de faire l’inventaire des éléments de solidarité qui existent au sein du régime, et notamment concernant les petites retraites.
Nous sommes attachés à la soutenabilité du régime, et par conséquent nous veillerons à ce que les discussions restent dans la trajectoire d’équilibre financier de notre accord.
Comment organiser le retour du paritarisme en particulier dans la formation professionnelle et dans l’assurance chômage, et comment jugez-vous de l’état de vos relations avec les organisations de salariés ?
Dans un climat marqué par une hystérisation du débat public, il est bon de voir qu’il existe quelques derniers bastions qui résistent. C’est le cas du dialogue social, entre partenaires sociaux, mais également dans les entreprises.
Les partenaires sociaux ont en effet démontré leur capacité à faire vivre la démocratie sociale, à discuter et à construire des compromis. En témoignent les nombreux accords signés ces dernières années, soit à leur initiative – c’est tout le sens de l’agenda social autonome que je compte pleinement faire vivre, en dehors de tout métronome gouvernemental – , soit dans le cadre de l’article L1 à la demande du gouvernement.
Nous avons beaucoup fait bouger les choses entre partenaires sociaux, grâce à la densité de notre dialogue social qui a permis des accords majeurs qui sont au cœur de la vie et des attentes des entreprises et de leurs salariés. Je pense aux accords sur le télétravail, sur la prévention des accidents et maladies professionnelles, sur le partage de la valeur…
Je crois beaucoup à l’intelligence collective de ce dialogue pour continuer de faire émerger des solutions partagées, en nous saisissant pleinement de nos responsabilités dans le cadre de la négociation qui va s’ouvrir, sur l’emploi des seniors, ou les parcours et transitions professionnelles.
Sur l’assurance chômage, les partenaires sociaux pèsent toujours puisqu’ils viennent dans un esprit de responsabilité de résoudre une équation complexe. Nous avons visé le strict équilibre entre dépenses et recettes du régime d’assurance chômage demandé par le document de cadrage du gouvernement, afin de donner la priorité au désendettement, tout en actualisant certaines règles d’indemnisation et en améliorant la compétitivité des entreprises par une baisse des cotisations.
Pour autant, nous estimons que nous sommes arrivés au bout d’un modèle et souhaitons en refonder la gouvernance à travers la création d’un régime à deux étages : un régime de solidarité relevant de l’exécutif et un régime complémentaire assurantiel, relavant des partenaires sociaux, comme pour l’Agirc-Arrco.
En matière de formation professionnelle, nous partageons avec les organisations syndicales l’objectif de tendre davantage vers un paritarisme d’action et d’influence. Aujourd’hui, les partenaires sociaux, que ce soit à France Compétences, à Certif Pro, dans les Opco ou les associations Transitions Pro, sont cantonnés à leur rôle de gestionnaires.
Nous avons des propositions concrètes à porter et souhaitons peser davantage sur les orientations stratégiques. Les modalités de gouvernance de ces différents organismes ne nous le permettent pas aujourd’hui. Les financements et les dispositifs ne sont pas suffisamment orientés vers la réponse aux besoins en compétences des entreprises.
Un exemple : les fonds du PIC – Plan d’investissement dans les compétences – n’étant pas entièrement consommés chaque année, nous avons proposé d’en réallouer une partie sur d’autres priorités.
Quant à nos relations avec les organisations syndicales, si j’en juge par la densité de ce dialogue, je dirais qu’elles sont constructives : la démocratie sociale fonctionne ! Je crois beaucoup à ce dialogue social, que ce soit au niveau de l’entreprise, de la branche et au niveau interprofessionnel, afin de coconstruire des compromis entre partenaires sociaux. Ils sont les mieux à même de comprendre les enjeux concrets des entreprises et de leurs salariés, et de répondre ainsi aux enjeux à venir.
Quel est votre regard sur le budget 2024 ?
Le report des engagements pris en matière de baisse de la fiscalité de production n’envoie pas un bon signal aux entreprises.
Dans un contexte de besoins importants d’investissement dans la transition écologique et d’objectif de souveraineté industrielle, mais aussi d’accentuation de la concurrence internationale, nos entreprises ont besoin de visibilité et de stabilité. Ce sont là les conditions de leur capacité de projection vers l’avenir. Beaucoup d’entreprises que je rencontre avaient pris en compte la suppression de la CVAE – cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – dans leur stratégie d’investissement. Pour elles, c’est un revers considérable qui met à mal leurs efforts d’innovation.
Il faut impérativement poursuivre la politique de l’offre qui a concrètement porté ses fruits – que ce soit en termes de création d’emploi, d’investissements, de réindustrialisation – tout comme la baisse des impôts de production, à commencer par la suppression de la CVAE, annoncée d’ici 2027, pour continuer à dégager des ressources supplémentaires pour le financement de l’investissement et pour gagner en compétitivité.
A ce titre, je salue la création du crédit d’impôt en faveur de l’industrie verte qui incitera les entreprises à investir dans la décarbonation de l’économie.
En revanche, l’augmentation du Versement Mobilité aura des effets contre-productifs car il vient renchérir le coût du travail.
Quels sont les grands défis qui attendent le Medef ?
Les grands défis du Medef, ce sont ceux des 190 000 entreprises de notre mouvement. Je suis intimement convaincu que leur réussite est la condition sine qua non de la réussite économique, sociale et environnementale de notre pays. Et c’est pourquoi il est de notre responsabilité de leur garantir les conditions de cette réussite face à la multitude de défis qu’elles doivent affronter.
Je pense à la nécessaire transition écologique et son corollaire qu’est la stabilité des prix de l’énergie. Sur cet enjeu majeur, principale préoccupation de nos adhérents, je souhaite que le Medef soit en première ligne. D’une part en martelant sans cesse qu’il ne pourra y avoir de transition écologique sans croissance et sans réindustrialisation partout dans les territoires. Nous avons besoin d’une croissance responsable, portée par l’innovation et les investissements. Et d’autre part, en ouvrant une réflexion avec les partenaires sociaux sur le thème de la conciliation de la croissance et du climat.
Je pense également à la crise du logement pour laquelle le Medef a été parmi les premiers à appeler l’attention des pouvoir publics. C’est un chantier prioritaire tant il conditionne l’accès à l’emploi, le dynamisme économique de nos territoires, le pouvoir d’achat et plus largement la cohésion sociale de notre pays.
Autre enjeu central, celui de la juste concurrence dans un contexte de compétition internationale accrue, et le rôle de l’Europe. Le Medef est profondément proeuropéen, mais nous voulons que l’Europe soit un atout pour nos entreprises, notamment face à cette concurrence internationale exacerbée. Une Europe présente sur les grands sujets stratégiques, en appui à nos entreprises, pour gagner en résilience, pour faire naitre des champions européens, tout en réussissant la nécessaire transition écologique. Je pense à l’intelligence artificielle, au quantique, aux énergies renouvelables, aux usines de batteries.
Mieux d’Europe, cela veut dire une Europe de la simplification, une Europe qui garantit les marges de manœuvre à ses entreprises et qui met sur pause sa surproduction de normes : En 5 ans, les entreprises européennes se sont vu imposer plus de 5000 pages de textes supplémentaires et 850 nouvelles obligations. Je pense également à un autre sujet de crispation pour nos entreprises : le devoir de vigilance mais aussi la transposition en droit français de la CSRD – Corporate Sustainability Reporting Directive. C’est pourquoi j’ai mis l’Europe au cœur de mon mandat. La perspective des élections européennes est une première échéance qui nous permettra de porter haut les attentes des entreprises de France auprès des candidats à l’occasion de leur audition. Mais plus largement, le Medef va monter en puissance sur ce sujet stratégique, notamment en musclant sa présence à Bruxelles.
Je pense aussi à un défi qui me tient particulièrement à cœur, celui des compétences. Si nous voulons être les acteurs des grandes transformations actuellement à l’œuvre – transition écologique et transition numérique pour ne citer qu’elles –, les transformer en opportunités et non les subir, mais aussi si nous voulons nous assurer que personne ne soit laissé sur le bord de la route du progrès, il est urgent de mener dès aujourd’hui le combat des compétences. C’est ce à quoi œuvre le Medef en rapprochant toujours plus le monde de l’école de celui de l’entreprise afin de créer des ponts, faciliter la porosité, et s’assurer que l’offre de formation soit le reflet des besoins et attentes des entreprises, des évolutions profondes du marché du travail.
Quelles sont les pistes du Medef pour décarboner l’économie ?
Encore une fois, je le rappelle, les entreprises ont la solution, à nous de leur garantir les marges de manœuvre nécessaires. Les prérequis, nous les connaissons : compétitivité, visibilité, lisibilité et stabilité. Et c’est ce à quoi s’emploie le Medef !
Décarboner, produire plus vert, les entreprises savent faire, mais cela à un coût. En amont, cela demande qu’on leur permette de réaliser les investissements nécessaires, ce qui demande au préalable de pouvoir générer de la richesse. On en revient à la nécessaire croissance comme condition de la transition écologique. Mais une fois les investissements engagés, les outils de production modernisés, et la production décarbonée, encore faut-il que ces efforts soient payants. Autrement dit, que ces productions plus vertes mais nécessairement plus chères ne se retrouvent pas en concurrence avec des produits jouissant d’impératifs écologiques moins exigeants voire absents. C’est tout l’enjeu de la juste concurrence que nous défendons ardemment.
Enfin, il ne pourra y avoir de décarbonation de notre économie, sans réindustrialisation. C’est bien simple, sans industrie, nous n’arriverons pas à décarboner nos activités, nous ne pourrons pas réduire nos émissions de gaz à effet de serre, tout en assurant notre souveraineté et en proposant des emplois partout dans les territoires. Une bataille qui se mène également dans le débat d’idées, que le Medef compte bien occuper encore plus. Face à ceux qui bloquent par idéologie le retour de l’industrie sur notre territoire, aux injonctions paradoxales qui opposent à tort industrie et transition écologique, face aux forces d’empêchement, nous serons présents. Oui, nous serons militants, en faveur d’une industrie synonyme de réussite collective, porteuse d’une croissance responsable aux fruits partagés.
Quels sont vos projets pour le Medef à moyen et long terme ?
Le premier objectif qui rythmera mon mandat, c’est inscrire encore plus le Medef dans le débat d’idées. Mettons un terme à ces monopoles de l’expression publique que certains se sont arrogés. J’ai la volonté que nous nous exprimions sur tous les sujets qui concernent nos entreprises, tous les sujets où elles ont la solution, avec lucidité, de façon dépassionnée : choc démographique et immigration par exemple. C’est tout le sens de la nomination d’une Vice-Présidente en charge de la prospective et des idées en la personne de Sophie L’Helias, qui aux côtés des Commissions du Medef, participera à l’élaboration de notre doctrine.
L’autre objectif qui est lié à ce premier, c’est marteler l’impérieuse nécessité de la croissance pour affronter tous les défis qui s’amoncellent. Les discours déclinistes, nous les refusons. Et cela ne vous étonnera surement pas, au Medef, nous ne sommes pas décroissants. D’ailleurs l’immense majorité des Français non plus ! Ce en quoi nous croyons, c’est une croissance portée par l’innovation, aux fruits partagés, qui nous permettra de financer notre modèle social, d’investir, de décarboner nos activités, d’accroitre notre souveraineté.
Je souhaite également défendre une relation de confiance avec l’Etat et avec les partenaires sociaux. Dans le contexte économique, politique et social inédit, les partenaires sociaux sont en mesure, et ils l’ont prouvé au travers des récents ANI – accords nationaux interprofessionnels – , de se saisir en autonomie et dans un esprit de responsabilité des grands sujets qui comptent pour les salariés et les entreprises. Et ce, en dehors de tout agenda gouvernemental. C’est tout le sens de l’agenda social autonome que je compte faire pleinement vivre. Ce rapport de confiance avec l’Etat passe aussi par le respect de la liberté, aussi bien d’entreprendre pour les entreprises que de négocier pour les partenaires sociaux.
Enfin, ma quatrième priorité, comme je l’ai développé précédemment, c’est bien évidemment l’Europe.
Quelle est votre conception, en tant que chef d’entreprise, du rôle de l’expert-comptable ?
Les experts-comptables jouent un rôle clé auprès des entreprises, ce sont des partenaires de leur réussite !
Ce sont en effet des acteurs incontournables au service de l’économie et de la croissance, en particulier pour les PME. Par leur mission d’accompagnement des dirigeants dans la prise de décision à chaque étape de la vie de l’entreprise, ils assurent la bonne santé de l’entreprise sur le long terme, dans le respect des obligations légales et financières.
Ils apportent également aux dirigeants leur expertise sur l’ensemble des sujets sociaux, juridiques, financiers, fiscaux et patrimoniaux stratégiques, dans le respect des obligations légales toujours plus complexes.
Ce sont des vecteurs de croissance qui contribuent directement à la réussite des projets de création comme au développement des entreprises. Leur fonction les place aussi dans une position privilégiée pour suivre l’évolution de l’économie et identifier les stratégies gagnantes. En France, 3 millions d’organisations y ont recours, ce qui démontre le poids de votre secteur dans l’économie !
Je le redis, les experts-comptables sont les partenaires de la réussite des entreprises dans un environnement toujours plus complexe et exigeant !
Merci à vous.