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Amir Reza-Tofighi, président de la CPME

Le déséquilibre et la conflictualité de notre système de retraite ne sont pas une fatalité

Amir Reza-Tofighi
Le 21 janvier 2025, Amir Reza-Tofighi, 40 ans, a été élu président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Il succède à François Asselin, qui présidait la confédération depuis 2015. Fils de réfugiés politiques iraniens, diplômé de Centrale Supélec et de HEC, Amir Reza-Tofighi a co-créé, à l’âge de 21 ans, Vitalliance, entreprise d’aide à domicile et de services à la personne, devenue un acteur majeur du secteur. Il a également co-fondé Heetch, la plateforme de VTC, et Click & Boat, l’un des leaders mondiaux de la location de bateaux entre particuliers. En parallèle, l’entrepreneur a présidé, entre 2016 et 2022, la Fédération française des services à la personne et de proximité (Fédésap). Membre du comité exécutif de la CPME depuis 2019, il a notamment piloté sa commission Innovation. Il nous livre ici les propositions de l’organisation patronale pour les retraites et les PME.

Que préconisez-vous pour équilibrer notre système de retraites, objet de réformes successives qui semblent ne jamais suffire ?

Sur le fond, je crois qu’il faudrait dépolitiser la retraite, l’extraire des jeux de posture, des oppositions systématiques, des pressions diverses et des urgences budgétaires qui aboutissent toujours à des demi-solutions, voire à des bricolages, et de réforme en réforme, de clause spéciale en dérogation, produisent un système illisible, décourageant pour nos concitoyens. La gestion des retraites pourrait s’appuyer sur des critères techniques, objectifs, validés et partagés par tous. Nous proposons notamment l’indexation de l’âge du départ en retraite sur l’espérance de vie. En France, celle-ci augmente d’un an tous les dix ans. Elle est passée de 54,9 ans en 1945 à 83,3 ans en 2023, tandis que sur la même période l’âge légal de la retraite passait de 65 ans à 64 ans, avec un abaissement à 60 ans entre 1983 et 2003. Nous voyons bien ici l’effet de ciseau qui déséquilibre notre système de retraite, et selon le tout dernier rapport du COR (1) devrait multiplier par 7 son déficit entre 2030 et 2070 – de 0,2 point à 1,4 point de PIB.

Les partenaires sociaux auraient toute légitimité pour piloter un tel système dépolitisé, dépassionné, assorti d’indicateurs techniques. Je prends l’exemple de l’Agirc-Arrco, le régime complémentaire du privé, où organisations représentatives des salariés et des entreprises ont su construire ensemble un pilotage par les réserves, assis sur une règle d’or – pas de déficit, et des réserves toujours équivalentes ou supérieures à 6 mois de prestations – avec une grande concertation stratégique tous les 4 ans et des ajustements tactiques chaque année. Le cas de l’Agirc-Arrco montre bien qu’un régime de retraite n’est pas condamné au déficit ni au conflit permanent. Et que les partenaires sociaux sont a priori les mieux placés pour produire du consensus.

Le recul de l’âge de la retraite est indissociable de l’emploi des seniors. Quelle est la position de la CPME sur ce sujet ?

La France est effectivement en retard sur la question. En 2024, l’Allemagne employait 75 % de ses 55-64 ans, et la France seulement 60 % (2). Pour rattraper ce retard, la CPME a formulé différentes mesures incitatives. Entre autres une exonération des cotisations patronales d’assurance-chômage sur les salaires des seniors.

Quelles sont vos autres propositions pour des retraites plus équilibrées ?

Nous proposons l’introduction au niveau national, pour tous les salariés, d’une part de retraite par capitalisation. C’est d’abord une question d’équité. Les agents de la fonction publique disposent déjà d’une «capi», avec le Préfon, régime de retraite supplémentaire à points. Dans la quasi-totalité des grandes entreprises, les salariés bénéficient également d’une retraite par capitalisation, au travers des PER collectifs (3). A contrario, la plupart des PME n’ont pas les moyens d’un tel dispositif. L’instauration d’une dose de capitalisation, strictement encadrée, réduirait ainsi une inégalité qui s’exerce au détriment de millions de salariés modestes. Une inégalité encore aggravée par la défiance envers le système actuel, induisant un mouvement de désolidarisation : les Français qui le peuvent engagent, de plus en plus jeunes, une stratégie individuelle de retraite – au travers notamment de l’immobilier – tandis que les autres en restent au régime commun. Pour rendre la retraite par capitalisation accessible à tous, la CPME propose un financement, non par une cotisation, mais par une heure de travail en plus chaque semaine. Le salaire correspondant à cette heure serait placé, tout au long de la carrière, sur un compte d’épargne individuel, et débloqué à la retraite sous forme de rente ou de capital.

Vous avez évoqué la poursuite de stratégies individuelles de retraite. La solidarité intergénérationnelle, inscrite au cœur de la retraite par répartition, vous paraît-elle menacée ?

Elle est indéniablement fissurée. Le dernier sondage en la matière (4) confirme tous les précédents : 63 % des Français non-retraités ne font pas confiance au système actuel pour leur garantir une pension, et 65 % estiment qu’il est injuste. L’injustice est notamment générationnelle. Les efforts de rigueur sont exclusivement portés par les actifs, tandis que les retraités, pour des raisons électorales, ne sont jamais sollicités. Le rapport flash de la Cour des Comptes, en février 2025, rappelle que le niveau de vie des plus de 65 ans, en France, atteignait 100 % de celui des actifs en 2020, contre 88 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.

S’il n’est pas question de toucher aux petites retraites, la CPME propose pour les autres un rééquilibrage, en alignant le taux de CSG des pensions sur celui des salaires. Ce serait redonner de l’oxygène aux actifs, dont dépend notre production de richesse, et donc notre capacité de financement des retraites. Cette mesure d’équité contribuerait par ailleurs à réinjecter de la confiance dans le système.

Le conclave sur les retraites, qui réunit les partenaires sociaux depuis le 27 février dernier afin de réformer la réforme de 2023, s’est soldé par un échec. Quel est votre sentiment au terme de cet épisode ? 

Un sentiment de regret, la CPME et ses négociateurs n’ayant pas ménagé leur peine pour trouver la voie d’un accord. S’il ne paraît pas raisonnable de revenir sur l’âge de retraite à 64 ans, compte tenu des déséquilibres financiers à venir, nos positions étaient assez proches sur des sujets majeurs comme la revalorisation de la retraite des femmes. Et nous avons ouvert des champs de négociation intéressants, inédits, sur l’âge d’annulation de la décote ou encore la pénibilité, même si notre prisme est ici différent – prévention pour le patronat, réparation pour les syndicats. Nous répondrons bien sûr présents à l’invitation du premier ministre, aujourd’hui (le 24 juin, ndlr), pour une ultime tentative de convergence. En tout état de cause, l’expérience aura permis une remise en jeu des partenaires sociaux sur un sujet trop longtemps confisqué par l’État. Si je reprends l’exemple de l’Agirc-Arrco, les accords les plus structurants, les plus décisifs pour la solidité du régime ont requis bien plus que trois mois de négociation, et ce dans le calme et la discrétion, loin des caméras et sans arrière-plan politique.

Au-delà des retraites, quelles sont les priorités de votre mandat ?

A court terme, nous allons suivre très attentivement le prochain examen du projet de budget, en veillant à ce que la recherche d’économies ne se résolve pas en surcroit de contraintes et de fiscalités fragilisant les PME. Sur le moyen et long terme, nous bataillons pour obtenir une réelle simplification de la vie économique. La CPME n’est pas contre les normes et les réglementations, garantes de qualité, d’équité et de sécurité, à la condition qu’elles soient intelligentes et bien proportionnées. Or beaucoup de normes s’avèrent inutiles ou inutilement compliquées, pénalisant les entreprises qui ne disposent pas des ressources juridiques nécessaires à leur décryptage et à leur application. Nous venons à ce sujet de publier un livre blanc, formulant 70 propositions de simplifications à mettre en œuvre au niveau européen pour stimuler la compétitivité des PME. Nous avons également lancé un Observatoire de la surtransposition, en charge de mesurer l’étendue d’une manie bien française : l’alourdissement, la complexification des textes européens au moment de leur transcription dans notre droit. Enfin nous avons lancé un grand chantier de sensibilisation des PME aux défis de l’intelligence artificielle, pour les aider à en saisir les opportunités plutôt qu’à en subir les risques.

Quel regard portez-vous sur le rôle des experts-comptables auprès des PME ?

En tant qu’entrepreneur, comme en tant que président de la CPME, je connais d’assez près la solitude du chef d’entreprise, dans un monde de plus en plus complexe. Je mesure donc l’importance d’un expert-comptable au sens large et noble du terme, capable d’accompagner le dirigeant dans toutes les dimensions de sa gestion : donc un expert-comptable non seulement prestataire technique mais aussi conseiller, force de proposition, coach, voire confident.

  • (1) COR : Conseil d’Orientation des Retraites
  • (2) Rapport d’information du Sénat sur l’incidence du taux d’emploi des seniors sur l’équilibre financier du système de retraite, mai 2025.
  • (3) PER : plan d’épargne retraite
  • (4) Sondage Elabe pour BFMTV, juin 2025