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René Ricol : Les experts-comptables en première ligne pour la sortie de crise

René Ricol, président fondateur de Ricol-Lasteyrie, a exercé de nombreuses responsabilités publiques. Il a notamment présidé l’Observatoire des délais de paiement et l’Agence française pour la création d’entreprise (APCE), avant d’être nommé Médiateur du crédit (2008-2009) puis Commissaire général aux investissements, entre 2010 et 2012.

René Ricol vient de remettre au Gouvernement un rapport sur les procédures collectives, qui propose plusieurs mesures pour améliorer leur efficacité, mieux protéger les entreprises fragilisées et leurs salariés. Il nous parle, entre autres, du rôle déterminant des experts-comptables et des commissaires aux comptes dans ce processus, et plus généralement dans la période décisive qui s’annonce, entre espoir de reprise et crainte de faillites. Entretien autour d’une e-tasse de café.

M. Ricol, le Gouvernement vous a commandé, le 8 mars dernier, un rapport sur les procédures collectives, que vous avez remis le 21 avril et qui a inspiré plusieurs mesures, annoncées le 1er juin dernier, pour une sortie en douceur du « quoi qu’il en coûte ». Quelles sont les principales préconisations de votre rapport ?
 

Il s’agissait, au départ, de lever une ambiguïté : en transcrivant dans un projet d’ordonnance une directive européenne, le ministère de la Justice semblait rétrograder l’ordre de priorité accordée au paiement des salaires en cas de liquidation judiciaire. Mon premier objectif était donc de rassurer, de réaffirmer la nécessité – partagée par le ministère – de garantir le superprivilège dont bénéficie l’AGS, qui joue un rôle d’amortisseur social irremplaçable en réglant les salariés.

Au-delà de cette clarification, quelles sont les mesures à prendre pour mieux protéger les entreprises au bord du redressement judiciaire ?
 

Au cours de notre mission, nous avons découvert des tensions, des litiges entre l’AGS, gardienne du superprivilège des salariés, et les AJMJ – administrateurs et mandataires judiciaires – en charge de piloter la procédure. Si la grande majorité de ces procédures se déroulent convenablement, il existe aussi une minorité de débordements inacceptables, avec une prolifération d’intervenants et une explosion des honoraires, qui obèrent toute chance de protéger les emplois et les créanciers, jettent une ombre sur l’ensemble des acteurs du « restructuring ». Ceux-ci, à commencer par les AJMJ et la Fédération bancaire française, ont donc bien accueilli les propositions du rapport : instaurer une transparence totale des frais de procédure et de justice ; mettre en concurrence, par appel d’offres, les intervenants ; renforcer le contrôle des procédures collectives, mais aussi, en amont, de la conciliation et du mandat ad hoc. Surtout, le Gouvernement a retenu notre proposition d’une procédure de redressement simplifiée, accélérée, pour les PME et les TPE fragilisées par la crise sanitaire.

Quel est ici l’enjeu, et quel rôle ont à jouer les experts comptables, les commissaires aux comptes ?

En France, 95 % des redressements judiciaires se terminent en liquidation. C’est un chiffre qui doit collectivement nous interpeller. Quand une entreprise est en souffrance, le temps est le facteur décisif. Il faut aller vite, ne pas laisser s’installer la perte de confiance, les rumeurs ni la démoralisation. Or, nos dispositifs judiciaires ont tendance à multiplier les délais et les interlocuteurs. D’où l’idée, pour les petites entreprises affaiblies par la crise (1), d’une procédure de redressement simple et rapide, en 3 mois maximum – contre 6 à 18 mois normalement – avec un mandataire unique et un coût modéré, plafonné. Les experts-comptables et les commissaires aux comptes vont ici jouer un rôle majeur en matière de prévention, de détection des signaux faibles. Ils se sont notamment engagés à réaliser, sans surcoût pour leurs clients, un diagnostic de sortie de crise, préalable indispensable au déclenchement – ou non – d’une procédure accélérée. Au-delà de ce dispositif particulier, notre profession exerce une responsabilité de conseil d’autant plus précieuse quand le navire tangue. Beaucoup d’entreprises, par exemple, perdent inutilement du temps en conciliation, exposées à une inflation d’intermédiaires et de frais afférents, alors que leur situation financière exige dès le départ une sauvegarde ou un redressement. C’est notre rôle que de confronter les espoirs aux possibilités réelles, et notre honneur que de poursuivre cet accompagnement même si l’entreprise ne peut plus payer nos honoraires.

Comment voyez-vous les prochains mois : crise ou reprise ?

La période est propice aux prophéties en tous genres, qui prédisent tantôt un mur des faillites, tantôt un redécollage spontané. Mieux vaut renoncer à la boule de cristal et se préparer à toute éventualité. C’est l’esprit qui a guidé la mise en place de cette procédure accélérée, et plus largement tout le plan d’accompagnement à la sortie de crise, fondé sur une prévention au plus près des entreprises. Nous aurions été encore mieux armés sans la suppression du commissaire aux comptes dans les PME, édictée en 2019 par la loi Pacte, à contre-courant des normes internationales qui partout renforcent la protection financière des entreprises. Pour des économies de bout de chandelle, le pays s’est privé d’un filet de sécurité et d’un émetteur d’alerte qui auraient été fort utiles aujourd’hui.

Vous avez été commissaire général aux investissements d’avenir : quel regard portez-vous sur les plans de relance initiés depuis le début de la pandémie ?

Le monde moderne a déjà connu de graves crises, provoquées par la spéculation financière – 1929, 2008 – ou par le surinvestissement – en 2000, par exemple. Rien de comparable cependant avec cette catastrophe sanitaire. Dans une situation totalement inédite, sans aucune référence, la politique de relance a assuré l’essentiel en ouvrant largement les vannes de l’argent public pour éviter à tout prix les défaillances en cascade, un chômage massif et l’arrêt total de l’économie. L’Union européenne a également répondu présent en parvenant, malgré des lenteurs et des tensions, à un plan de relance de 750 milliards d’euros. Au-delà des sauvetages et des renflouements, indispensables à court terme, c’est sur le temps long que se jugera la qualité des plans de relance, dans leur capacité à faire émerger une économie durable et décarbonée. À titre de comparaison, les investissements d’avenir dans l’Université Paris-Saclay, engagés en 2010, portent leurs fruits aujourd’hui, avec pour effet une ascension fulgurante dans les classements internationaux.

À son échelle, la Cavec contribue à la relance de l’économie française en investissant dans des secteurs d’avenir – santé, biotech, énergies renouvelables… – dans des fonds verts et responsables. Quel est votre avis sur ces placements ?

Pour un organisme de retraite, la problématique des placements est toujours la quête du meilleur équilibre entre sécurité maximale – puisqu’il s’agit de la pension de ses adhérents – et rendement consistant. Dans cette équation, les fonds verts, à condition qu’ils ne relèvent pas du green washing, de même que les secteurs fléchés comme prioritaires dans les plans de relance, forment sans doute des placements sûrs et performants. Et quand je regarde les chiffres de la Cavec – des réserves multipliées par 11 en 30 ans, un rendement qui bat le CAC 40 sur la dernière décennie – je me dis que les gestionnaires de notre Caisse n’ont pas nécessairement besoin de mon avis en la matière !

(1) Entreprises de moins de 20 salariés, avec un passif inférieur à 3 millions d’euros, qui n’éprouvaient pas de difficulté particulière avant la crise sanitaire.